Françoise Hardy interview Hélène Grimaud

 
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Béatrice Muthelet.
Gauthier Capuçon.
Renaud Capuçon.



 

Voici l'intégralité du texte de le conversation où Françoise Hardy avait eu carte blanche pour interviewer Hélène Grimaud. Cet entretien a eu lieu fin octobre 2000 pour une émission de Canal +. Ce texte a été publiée récemment par Paris Match mais en étant quelque peu tronquée et modifiée. Le texte qui suit est la version originale.

Tous mes remerciements à Madame Françoise Hardy pour cette très belle contribution.



Françoise Hardy: Vous étudiez de façon scientifique le comportement des loups que vous élevez. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ce travail est d'utilité publique ?

Hélène Grimaud: C'est la vocation éducative du centre que j'ai fondé pour la sauvegarde de l'espèce, qui a permis qu'il soit désigné comme organisation à but non lucratif et d'utilité publique. Le centre est ouvert au public mais surtout aux enfants, à des groupes scolaires, auxquels nous essayons d'inculquer des notions de plus grande sagesse écologique. Beaucoup d'entre eux viennent d'endroits urbains où l'on n'a pas vraiment conscience de la façon dont la nature fonctionne,    dont tout est imbriqué . Nous sommes tous responsables et nous faisons partie de la même chaîne  finalement. La recherche elle-même est plus une recherche de dynamique sociale entre les différents animaux, bien qu'il puisse être considéré comme sujet à caution d'étudier les animaux dans des conditions de captivité susceptibles d'altérer un comportement dont l'une des motivations de base est la chasse. Cela dit, il y a un assez fort consensus à ce sujet parmi les scientifiques qui reconnaissent que les animaux, plus particulièrement les loups, gardent intacte leur formule de comportement en ce qui concerne le rapport social, même après des générations de captivité. Le fait qu'une meute soit captive ou non est un problème de contexte, de contexte culturel presque. Mais même si une meute était libre, elle serait différente de celle du territoire voisin. Ce qui me plaît, c'est que cette recherche laisse beaucoup de place à l'intuition et à la perception. En tant qu'êtres humains, nous mettons des mots sur tout et les mots risquent d'amener une certaine dose d'anthropomorphisme dans la description du comportement animal. L'idée est d'essayer de provoquer des situations qui vont faire qu'un comportement se répète afin d'établir des connexions valables. La recherche qui m'intéresse est une recherche de terrain mais l'aspect qui en est le plus motivant, c'est vraiment le contact avec les jeunes. L'éducation est la clé. On ne peut parler de conservation sans éducation préalable, c'est par là que ça passe.

F.H. Existe-t-il des comportements que vous avez du mal à supporter chez les humains et que vous ne rencontrez pas chez les animaux - entre autre chez les loups que vous connaissez mieux - ?

H.G. Je dirai la mesquinerie. C'est le seul comportement qui me vienne à l'esprit pour l'instant. Ca ne veut pas dire que les animaux ne sont pas capables de calculer d'une certaine façon, bien que ça reste un point d'interrogation: est-ce que les animaux savent qu'ils savent ?  Ca a été observé chez les primates. Chez les loups, ce serait plus difficile à tester non parce que ça n'existe pas mais parce qu'on a moins les moyens de communiquer avec eux. Il est difficile de penser, inventer un test qui va permettre de prouver une telle chose. Il m'est arrivé de voir des loups essayer apparemment de tromper l'autre. Mais la mesquinerie c'est complètement autre chose, ce n'est même pas la tromperie, c'est plus une question de bassesse dans le comportement.

F.H. Observe-t-on chez les animaux des déchaînements des pulsions agressives comme il en existe chez l'être humain ?

H.G. À mon avis, ça dépend du contexte. Les loups sont tout à fait capables de tuer un autre loup.

F.H. Pour des raisons défendables?

H.G. Des raisons biologiquement acceptables. C'est vrai que la violence, si elle existe, ne semble pas atteindre ce degré pathologique qu'elle peut atteindre chez l'homme. Cela dit, elle est souvent de même intensité ou, semble-t-il, de même nature chez les chimpanzés par exemple. Finalement la frontière entre l'homme et les espèces animales est beaucoup plus ténue qu'on ne pense.

F.H. Pouvez-vous parler de la différence de nature entre l'attachement que vous éprouvez pour vos loups et celui qu'ils éprouvent sans doute pour vous ?

H.G. C'est une question difficile. Je ne sais pas vraiment s'ils éprouvent de l'attachement à mon égard. Peut-être de l'attachement dans le sens où je suis membre de la meute à mi-temps. Ce sont des animaux capables d'attache sociale très forte. C'est, entre autre, ce qui les rend intéressants. Le fait de vivre en meute  implique un lien. En quoi le lien se traduit en démonstration d'une émotion  que nous serions à même de qualifier,  c'est plus difficile à dire. Quant à moi, je suis attachée à mes loups dans la mesure où je souhaite le meilleur pour eux. On s'efforce toujours que les animaux présents soient la priorité, que leur bien-être passe avant le reste, avant le confort du public par exemple. Si j'essaie de comparer l'attachement que j'ai pour eux à celui que je ressens pour notre chien, ça me paraît être d'une nature différente. Je ne sais pas comment l'expliquer, peut-être parce que malgré leur situation de captivité, les loups sont des animaux qui ne se sentent pas dépendants de vous.  C'est une relation finalement plus " choisie " qu'avec un animal domestique.

F.H. Le fait qu'en concert comme avec les loups, vous n'ayez pas vraiment droit à l'erreur constitue-t-il un stimulant ou une peur ? Est-ce que la peur est un stimulant?

H.G. La peur est absolument un stimulant. La peur c'est l'adrénaline qui permet finalement de maîtriser toutes ses ressources, c'est presque une aide à la survie. Mais dans le cadre de mon interaction avec les loups la peur n'est pas présente et je pense que c'est une bonne chose.

F.H. Il y a quand même des règles que vous devez observer pour ne pas vous mettre en danger ?

H.G. Oui. C'est ce qu'on essaie d'expliquer aux visiteurs, au public : ce qu'est un loup,  comment il fonctionne, quel est son impact sur l'environnement, quel est son potentiel de conflit avec l'homme. On ne cherche en aucun cas à le faire passer pour un animal non dangereux. Chaque prédateur est potentiellement dangereux pour l'homme mais, ironiquement, le loup l'est beaucoup moins que d'autres espèces qui ne semblent pourtant pas déclencher cette peur irrationnelle, incontrôlable qu'il provoque chez l'homme .

F.H. Est-ce que dans votre vie si bien remplie par la musique et les loups, vous envisagez de faire un jour de la place pour un enfant ? Un enfant à vous ?

H.G. Un enfant sans doute. À moi pas forcément. Peut-être que ça changera, peut-être qu'un jour je ressentirai le besoin d'avoir un enfant de l'homme que j'aime tout autant que d'avoir un enfant pour l'enfant lui-même, mais au point où j'en suis, mon idée ­ que j'ai depuis des années déjà ­ est que le jour où la place sera là pour l'enfant - que je la fasse ou qu'elle se fasse sentir - , je préfèrerais adopter, uniquement parce qu'il y en a déjà tellement qui ont moins que le minimum . Mais, encore une fois, il se peut que ce ne soit qu'une idée et qu'au moment où je serai vraiment prête, je veuille un enfant de " lui " et pas seulement un enfant dans l'abstrait.

F.H. Je vous ai entendue parler de l'esprit sacré qu'il y a en chaque être, y compris non humain. Comment êtes-vous venue à cette vision très " spirituelle " du monde et de la vie ?  

H.G.  Je ne suis pas consciente du parcours qui m'aurait amenée à penser ainsi mais je crois que c'était sans doute déjà là d'une certaine façon quand j'étais enfant. Je me souviens que sur le chemin de l'école ou dans des lieux où mes parents m'emmenaient en week-end, je m'étais attachée à certains arbres en ayant la conscience que l'arbre existait en tant que tel et avait son histoire propre. Ce sentiment a peut-être toujours été là et n'est devenu conscient que plus tard, sans doute à travers le travail que nous faisons ici avec les loups.

F.H. Cette intuition rejoint tellement ce que disent les guides, les textes spirituels.  Vous n'avez eu aucune forme d'initiation à la spiritualité?

H.G. Non. Il n'y a pas eu de " révélation ", ça ne s'est pas produit ainsi.

F.H. Vous donnez l'impression de mettre la barre très haut, de chercher toujours à aller vers l'essentiel. Ce genre de quête coûte généralement cher en remises en question, peut-être en solitude et en renoncements aussi ?

H.G. En remises en question oui. C'est vrai que c'est difficile à vivre dans la mesure où on se demande toujours si on est en train de faire suffisamment ou de faire assez bien. Mais je crois que le meilleur chemin  c'est d'abord de vivre dans l'instant, de se rendre compte que la journée n'est faite que de petites choses, l'idée étant d'abord d'essayer de rendre les proches heureux ­ ce n'est pas si facile - , mais aussi de se comporter comme s'il n'y avait pas de prochaine minute.  C'est parfois angoissant tant pour celui qui vit ainsi que pour son entourage que l'excès d'intensité peut stresser.

F.H. Je me demandais justement comment vous arrivez à décompresser, si vous y arrivez ?

H.G. C'est peut-être là où le voyage est salutaire pour moi dans la mesure où c'est le seul moment où je me retrouve totalement seule sans avoir le choix. Je préfèrerais rester chez moi plutôt que me mettre dans un avion mais une fois installée là, il m'est arrivé de me dire que c'était peut-être le seul instant que j'ai où il ne peut rien se passer d'autre.

F.H. La  futilité, vous ne savez pas ce que c'est ?

H.G. J'espère ne pas le savoir trop intimement. Parfois la simple volonté d'accomplir quelque chose, fait qu'on sombre dans la futilité très rapidement parce qu'on se braque sur certains détails au lieu de garder l'oeil sur les grandes lignes alors que c'est vraiment ça qui permettrait d'arriver à ce que l'on souhaite.

F.H. Quand on interprète des compositeurs géniaux et torturés ­ mais n'est-on pas fatalement encore plus tourmenté que la moyenne quand on est génial ­ comme Brahms, Beethoven, Schumann, Rachmaninov, cela n'implique-t-il pas d'avoir une sensibilité aussi forte, une aussi grande capacité de souffrance qu'eux ?

H.G. J'aurais tendance à vous dire que oui. C'est l'éternelle question : est-ce que les artistes doivent souffrir pour être au sommet de leur art ? Je ne sais pas. On peut voir les choses de deux façons. Mais il me semble que l'on
doit au moins avoir une conscience aiguë de la possibilité de souffrance, ainsi qu'une sensibilité suffisamment " poreuse " pour que la souffrance du compositeur, même si elle est extérieure, vous atteigne au point de devenir la vôtre.

F.H. Chaque être humain est plus ou moins un champ de bataille entre ce qui le tire vers le haut et ce qui le tire vers le bas. Mais vous dégagez une luminosité, un rayonnement tels, qu'on a du mal à imaginer que quoi que ce soit puisse vous tirer vers le bas. Est-ce qu'il vous arrive pourtant de sentir ces forces qui tirent vers le bas au point de devoir vous battre contre elles ?

H.G. Oui, mais personne ne me tire aussi bien vers le bas que moi-même.

F.H. Je ne faisais allusion qu'aux forces intérieures. Vous qui semblez avoir dépassé la condition humaine courante, cela vous humaniserait en quelque sorte d'en dire un peu plus sur ce qui vous tire vers le bas.

H.G. Ce sont les sensations de découragement, l'impression de ne pas être à la hauteur. Ca m'arrive très souvent parce qu'il est extrêmement rare de se sentir content à la sortie d'un concert.

F.H. Précisément, ce type d'insatisfaction tire vers le haut puisque qu'il vous oblige à des remises en question éprouvantes certes, mais qui vous obligent à progresser.

H.G. Qui vous propulsent vers le haut. Absolument. Ca m'est arrivé une fois de rester suffisamment longtemps dans le fond pour avoir l'impression d'être dans un état de marasme. Mais, finalement, ce qui a suivi était proportionnellement inverse à ça. Ca finit donc toujours par une lumière à la fin ou simplement par un sentiment d'élargissement.

F.H. Sur quoi portent en priorité vos efforts pour progresser, pour évoluer, pour aller encore plus loin sur la voie de votre accomplissement,  bien que, vu de l'extérieur, vous soyez beaucoup plus accomplie et évoluée que la plupart des gens.

H.G. Non, je suis sûre que ça n'est qu'une illusion.

F.H. Tout est relatif bien évidemment !

H.G. Voilà, c'est ça.  Ce qui m'aide, c'est de garder la conscience de ce qui se passe, d'essayer de rester attentive à ce qui se passe autour de moi, d'évaluer si par rapport à l'environnement où je me trouve, il est possible de repousser les limites ou si repousser les limites ne risque pas d'être, à un certain moment, contre-productif. C'est le fait de ne jamais se laisser porter - sauf quand je suis sur scène bien sûr - , d'essayer de voir les choses en face. Je trouve que c'est un des points communs entre l'Art ou la beauté dans l'Art et le monde animal, cette faculté qu'ont l'un comme l'autre de vous faire voir les choses telles qu'elles sont.




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